1996 à 2007 > Le milieu dans lequel Ayla vit le jour était l’exemple même d’une ville à la dérive complète dans un monde dévoré par le doute et la mort. La pandémie les avait touché durement et s’était montrée impitoyable avec son petit coin de monde. Rapidement une zone de quarantaine fut créée et comme pour plusieurs de ses prédécesseurs, le tout devint surtout une compétition de qui aura le plus payé pour rentrer. Et malheureusement, la famille de la petite australienne ne faisait pas partie de la classe des aisés. Ils vivaient dans un campement à l’extérieur de l’enceinte, en compagnie de plusieurs autres qui espéraient avoir un jour une chance d’accéder à cette sécurité. Cette organisation devenait à chaque année un peu plus hypocrite et cruelle. Les perdus devenant un marché noir et simple d’accès… L’enfant dut grandir entre atrocité du quotidien et la douceur qu’on tentait de lui fournir. Entourée de ses frères et sœurs, de deux parents aimants, elle eut une enfance relativement correcte considérant les conditions qui l’entouraient. Autant que possible se put, on lui donna un univers rempli d’imaginaires et de légèreté, choses à quoi n’importe quel petit avait le droit en général. Mais le tout fut néanmoins taché de sombres moments, découvrant certaines choses beaucoup trop tôt pour son âge, sachant certaines réalités qu’on souhaite pourtant ne voir que dans les histoires. L’amour qu’on lui offrit lui enseigna cependant à voir le beau en toutes choses, s’y focaliser et offrir autant de joie qu’elle le pouvait. Parce que l’on ne récolte que ce que l’on sème, chose qu’on lui encra profondément dans le crâne. La vie était peut être injuste, mais elle ne se devait pas de s’abaisser à ce niveau si elle souhaitait avancer. Mais elle apprit également le double tranchant de toute chose, commençant cette drôle de dualité qui ne cessa de l’habiter. Parce que son rythme de vie fut bercé d’actes plus ou moins répréhensibles, même si au final elle les fit tous à contrecœur.

Quand elle fut capable de courir sur ses pattes sans se casser la figure, ses aînés lui apprirent comment voler pour participer aux besoins familiaux. Nourrir tout le monde était compliqué et elle se sustentait rarement à sa fin tous les jours. Cet état, ce sentiment de vide dans son estomac, elle ne le connaissait que trop bien alors qu’elle n’avait même pas huit ans. Elle n’aimait pas faire ce qu’elle faisait, même si elle prenait aux plus fortunés qui rendaient le tout injuste au final. Ça restait du vol, quoi que l’on puisse en dire. Son monde était cruel ; marche ou crève. Et crever, c’était hors de question, la petite chose se montrant déjà farouche et entêtée comme personne. Elle voulait trouver mieux, vivre mieux, comme dans cette jolie brochure qui était son histoire du soir. Une publicité touristique égarée au sol, qu’elle avait ramassée très jeune. Nassau, la capitale des Bahamas, un paradis si elle croyait le papier coloré de vives et flamboyantes couleurs. La nuit, ses rêves étaient bercés du son des vagues, des merveilleux couchers de soleil et chaque nouveau matin, elle trouvait ainsi la force de continuer. De voir le beau. D’espérer que tout s’arrangerait, à force de volonté.

2008 à 2011 > L’adolescence amena son lot d’obstacles dans son sillage, alors que des courbes naissaient sur son corps fin et juvénile. Les regards changeaient maintenant, on ne voyait plus en elle une gamine agaçante, volant à l’échappée, mais bien une jeune femme qui séduisait. Donnait envie. Une fois, elle tenta un coup sur un rapatriement de conserves qui rentrait dans la zone protégée. D’ordinaire elle s’en sortait assez bien, n’ayant essuyé que des échecs sans grandes conséquences. Quelques cicatrices ici et là, des bosses, mais pas de grands drames. Cette fois-ci, elle se planta alors qu’elle fit trop de bruit durant sa tentative et alerta l’homme qui ramenait le tout. Mais au lieu de la battre, de la cogner ou de la poursuivre comme beaucoup l’aurait fait, il la regarda un bon moment. Toujours elle se souviendrait des mots qu’il prononça, de comment elle apprit une chose de la vie qu’encore à ce jour, elle déteste plus que tout. Que les êtres vivants avaient un prix selon certains. « Si tu as si faim, on peut faire un échange ; toi, contre des vivres. » À ce moment elle savait parfaitement ce qu’il sous-entendait, on lui avait expliqué le fonctionnement de la vie et de la procréation. Quatorze ans. C’était son âge quand elle fut déflorée dans la poussière et l’inconfort. Elle n’aima pas cet homme, sa brusquerie, ce qu’il lui inspirait, mais elle pouvait manger. Ses proches pouvaient manger. Alors que diable sa fierté, sa pureté au n’importe quelle autre conneries qu’on lui sortirait. Marche ou crève. Qu’elle se répéta encore et encore. Voilà ce qu’elle se disait, elle se forçait à penser au positif à chaque fois qu’elle usait de ses atouts pour obtenir quelque chose. C’était tout ce qui la maintenait hors d’atteinte de l’abandon.

Le Fléau lui, ne prenait pas de pause et continuait sa lente et violente guerre contre l’humanité. Alors que la zone de quarantaine trouvait une certaine prospérité, pour Ayla c’était comme l’enfer alors qu’elle devait regarder tous ses proches mourir les uns après les autres. Plus elle en perdait et plus elle se sentait partir loin d’ici. Partir en quête de son paradis, de ce monde si beau qui peuplait ses rêves grâce à cette toute petite brochure si simple. Pour autant, elle ne se sentait pas d’abandonner les siens, de les laisser à leur sort quand elle pouvait encore tenter de les sauver. Mais des gens auxquels se raccrocher, elle en avait de moins en moins.

2012 à 2013 > Le clairon sonna alors que le dernier membre de sa famille poussait un souffle ultime, épuisé, lâchant prise pour rejoindre cette après vie. Ayla l’enterra, offrant ses respects, ses espoirs et son amour avant d’offrir un adieu à cette ville qu’elle avait appris à aimer malgré tout. Parce que tout pouvait être beau. Elle n’en démordait pas de cette idéologie. Et elle la suivit alors qu’elle trouva le moyen de voyager vers le grand continent, par divers moyens incluant troc d’objets et de sa personne. Dix-sept ans qu’elle avait quand elle posa le pied sur les terres de l’Inde, l’esprit vibrant d’excitation alors que l’inconnue s’offrait à ses yeux. Enfin pouvait-elle assouvir ce frisson, ce besoin de marcher et marcher, voir plus et connaître plus. Que ce combat pour la vie vaille pour quelque chose. Parce la brune désormais, ne voulait plus survivre. Mais bien vivre.

Cette part de son existence fut la plus belle de toute. Elle voyagea en se contentant de peu, n’ayant presque rien de plus avec elle que les vêtements sur son dos et sa petite brochure adorée. Du reste, elle avisait au jour le jour, se disant que si elle mourrait, au moins elle partirait la conscience tranquille en faisant quelque chose qu’elle aimait. L’australienne vit milles paysages, milles animaux et milles plantes, tous plus fascinants et merveilleux que les précédents. On lui réapprit à apprécier son propres corps, à comprendre que ses désirs étaient bons et qu’elle avait droit au choix. Droit de dire non, droit de ne plus s’utiliser comme paiement. Des gens, elle en rencontra de toutes sortes ; des bons aux mauvais, chacun laissa sa petite marque chez l’exploratrice qui apprenait toujours plus. Le plus souvent elle partageait la route de ses amis de fortune de quelques jours, à quelques semaines. Eux qui avaient des buts précis, elle ne faisait que voguer, laissant ses pas guider sa route au gré de ses envies. Mais une personne se montra plus permanente. Plus présente. L’on ne parlera de grand amour ici, mais d’une belle amitié qui se créa entre Ayla et son compagnon de voyage. Le jeune homme était au moins d’une décennie son aîné, mais ils se parlaient comme si cela n’existait pas. Un brillant scientifique, qui souhaitait se rendre dans un endroit gérer par une entreprise faisant des tests pour trouver un remède au Fléau. La jeune femme adorait l’entendre, lui si passionné, si persuadé que c’était la chose à faire que de s’offrir à la science. Des mois elle le suivit dans son cheminement vers la Grèce, juste parce qu’elle aimait sa compagnie. Pour elle, après Pangonium, elle irait vers son propre chemin.

2014 > Cette année-là fut sans aucuns doutes la plus déroutante et chamboulant qu’elle connue. Enfin en Grèce, son ami et elle n’avait plus qu’à se rendre chez ces grands de la science et se dire au-revoir. Mais les aléas de la vie décidèrent que ce qui aurait dû être un simple au-revoir, n’en soit pas un. Dans les deux dernières semaines de leur périple, à même pas quelques jours de leur point d’arrivée, son ami si brave et vaillant tomba malade. Cette même nemesis qu’il souhaitait éradiquer le prit de vitesse et la pauvre Ayla le vit sombrer lentement. À la fin elle le portait presque à bout de bras, ne voulant pas le voir abandonner son si beau rêve, son ambition si pure. Trop de sacrifices avaient été fait, cela ne pouvait pas finir ainsi. Ces jours furent ses plus sombre alors qu’elle n’arrivait pas à trouver le positif de cette histoire. Qui avait-il de bien à tout cela ? Comment pouvait-elle espérer quoi que ce soit, quand tout ce qu’elle pouvait faire était de rester allongé auprès de ce pauvre homme. À prier n’importe qui l’écoutant que ce souffle ci ne soit pas le dernier. Alors qu’elle voyait partir cet être qui redonnait espoir en l’espèce, cet être qui ne se lamenta même pas, tentant de sourire jusqu’à la fin. « J’aurais essayé. » qu’il disait, répétait. Phrase qui hanta la brune alors qu’un matin, elle le trouva éteint, envolé. Terminé. Il aurait essayé. Ça ne lui suffisait pas. Elle voulait que son sacrifice serve à quelque chose, que sa vie compte. Voilà ce qui motiva une demoiselle à peine adulte à offrir sa vie à Pangonium. Le rêve du Paradis, elle l’offrirait à d’autre, à défaut de l’avoir.

La suite fut comme un mirage. Ayla ne garda que très peu de souvenir de la phase de tests, de recherches et autres étrangeté qu’on lui fit. N’en gardait-elle que ce sentiment de douleur, d’égarement. Incertitude profonde et pourtant teintée d’une certaine sérénité. Elle faisait quelque chose de bien, quelque chose qui comptait. Puis un jour, on la fit monter une trappe. Et quand les pans métalliques se poussèrent, la brune fut baignée d’un soleil radieux et un sourire l’illumina. Ayla n’était plus. Ayla était au paradis.

Et Nassau offrirait un paradis au monde.  

2015 à 2020> Sereine, heureuse, pleine de vie, Nassau embrassait ce renouveau pleinement. Son intégration fut complète et sans accros alors qu’elle se retrouva chez les Attentifs, les aimant désormais comme une famille. Elle se montra engagée et enjouée à découvrir les us et coutumes de ce petit groupe, aimant Pangée malgré ces retrouvailles avec les systèmes qu’elle haïssait tant. La belle s’habitua à sa capacité sans véritable mal, l’acceptant comme une nouvelle part d’elle-même et travaillant comme mille pour en connaître les moindres détails. Ici elle pouvait bouger constamment, tout en se rendant utile et elle exaltait. Le bonheur était sien, complet, total. Rapidement le poste de rôdeur attira son regard et elle fit tout pour devenir une parfaite, un exemple. Tout n’était pas parfait, mais quand en avait-elle demandé tant ?

Combat, endurance, discipline, elle s’améliorait un peu plus chaque jour, poussant ses limites aussi loin que possible. Se dépasser était ce pourquoi elle se levait chaque matin. Parcourir ces murs et découvrir leurs secrets sa nouvelle raison de vivre. En bref, elle s’amusait. Comme une folle. Mais elle s’investissait également auprès de ses pairs, aidant les exilés dès qu’elle le pouvait, restant loin de toutes ces histoires avec les Monarques. Ils représentaient tant de chose qu’elle détestait, qui lui avait posé tant de problèmes dans sa vie. Mais le courage de les faire tomber ne se présenta jamais. Nassau n’était pas une héroïne, un messie, un symbole. Elle n’était qu’une brune un peu trop énergique et bornée, rien de grand. Outre cette ombre, longtemps sa vie en Pangée se déroula bien, sans accrocs.

Dans la période de ses vingt-deux ans cependant, lui arriva un drame. La mort vint la voir de nouveau, cette fois-ci en prenant un garçon de son âge qui fut le résultat de son expérimentation bâclée. Idiote qu’elle avait été, imprudente, trop irréfléchie… Elle n’avait pas pensé à quoi que ce soit alors qu’elle lui prenait la main, se disant que si elle pouvait transporter une boîte, une personne ne poserais pas problème. Juste pour se rendre en haut de cette colline bien vite. Jamais ne s’était-elle autant trompée auparavant. Même pas trois mètres furent fait que son corps se força à apparaitre. Ne comprenant pas, elle découvrit horrifiée ce corps qui gisait à ses pieds, se tordant dans des douleurs terribles. Elle se souvint du chaos qui régna par la suite alors qu’elle appelait à l’aide, serrant sa victime avec désespoir, les larmes inondant son visage si joyeux d’ordinaire. Elle se souvint des judicieux qui tentèrent de sauver l’innocent dont les cris résonnèrent toute la journée. Elle se souvint d’eux lui disant que ses organes s’étaient déplacés, réapparut incorrectement. Son cœur ne ressemblant plus à rien. Nassau effondrée, bouleversée et inconsolable. Pendant des mois, elle ne fut qu’une loque, une ombre. Démoralisée, coupable, monstre. Les injures pleuvaient dans sa tête, se maudissant de n’être qu’une sotte.

On finit par la remettre sur le bon chemin, des amis, des alliés. On la secoua, qu’elle se reprenne, c’était un accident. C’était arrivé, à elle de s’entraîner et travailler pour qu’une telle chose ne se reproduise pas. Ce qu’elle fit. Lentement elle se retrouva, retrouvant son habituelle bonne humeur, son énergie si contagieuse. Nassau se jura de tout faire pour ne plus se perdre ainsi, même si c’était dur. Il y avait toujours du beau en ce monde. Elle s’y tenait. Elle y croyait.