perdition

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Odeurs de souffre. Les périphéries du cerveau écopent d'un shoot odorant. Elles distillent l'apothéose des neurones dans un bain de détente musculaire, imperceptiblement réparti le long des épaules. Dans le poitrail, un nuage de nicotine se répand dans les alvéoles des poumons, tapissant les parois de goudron. C'est la nuit noire. La lune a caché son fard. Les épaules adossées contre un mur de briques couvertes de moisissures, Varsovie s'occupe l'esprit dans des flashs-backs couleur sang. Le lampadaire éclairant la rue anime les yeux de quelques épilepsies. Les souvenirs dansent au même rythme, clignotant derrière les pupilles dans une farandole de merdiers ancestraux.

Pourtant, l'oreille capte une course indésirable. Une silhouette se dessine à quelques pas, maigrichonne, pas plus haute qu'elle. Longs cheveux d'or, visage de poupon. Pas un lieu pour une poupée de sons. Musique d'une démarche en pleine perdition. Varsovie connait ses traits. Varsovie connait son nom. Aucune âme ne lui échappe jamais. Bourreau des informations. Le feu entame le cul de la cigarette, n'envoyant aux organes qu'un amer goût de coton séché. « Il est bien imprudent de se balader en pleine nuit ici. » L'orgasme des chairs. Sous le thorax naît l'excitation mortifère. Point de prévention quant à ses intentions. Les doigts se frayent un chemin le long des mâchoires, du menton, et ils tournent dans un sens, puis un autre, le visage de la gamine. Varsovie ausculte, distille, analyse. « Bien des Rois se lèveront pour acheter ce joli minois. » Le brasier aurait presque atteint ses lèvres quand elle lâche prise pour balancer son mégot dans le caniveau.

« Vous êtes stupide de vous promener avant votre répartition. » Nombreux sont les yeux qui espionnent lorsque le soleil se couche, à croire que la Pangée n'est sûre que pour ceux qui souffrent. La madone aux cheveux rouges n'a que trop l'habitude de ces bas-fonds. « Ou est-ce chez les Exilés que vous souhaiteriez terminer ? » Varsovie se met à rire, grinçante, comme perturbée par des démons invisibles, charpentés pour l'abattre de l'intérieur. « Bien que j'apprécie leur incroyable faculté à s'empiffrer de cochonneries, je doute que vous y seriez à votre aise. » L'accoutrement en dit long, mais bien moins que ce visage angélique et ces iris innocents. L'humanité suinte partout sur sa chair. Une colombe parmi les rats, voilà tableau trop raturé. « J'imagine que vous avez une importante course à faire. » A en juger par la respiration soutenue, la pupille dilatée, l'espoir vain de se cacher dans les ombres, nul doute que Kyoto tente désespérément d'atteindre quelque chose. « Où allez-vous ? » Curiosité, tue-moi tout de suite.

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Une dernière œillade dans le long corridor de la couveuse lui confirme que tout est calme et tranquille. L'effervescence qui se trouve d'ordinaire dans ces lieux n'est plus en cette heure tardive, les autres oisillons dorment à poings fermés tandis que l'un d'entre eux quitte le nid. Douce Kyoto, d'ordinaire droite et respectueuse des règles, fait le mur. Son escapade nocturne répréhensible lui procure un double sentiment qui l'indispose au plus haut point : d'un côté une certaine excitation encore juvénile de l'interdit, de contourner les règles et de mettre un pied dans ce qui est prohibé, mais de l'autre, ce frisson de se faire prendre, cette peur latente. Mais elle ne peut guère faire autrement, si la belle veut obtenir des informations sur son frère, elle doit s'aventurer en des lieux que ces guides ne la laissent pour le moment pas parcourir. Ses pas se pressent quand la psychose d'être suivie l'envahit, ils claquent et résonnent contre le macadam. Mais une voix vient casser le bruit de ses pas hâtifs.

Une silhouette à peine perceptible dans la pénombre ; seul le rouge orangé de la braise d'une cigarette se fait reconnaître tandis que la forme humaine s'approche inexorablement de la douce enfant. Son palpitant s'emballe sous sa poitrine, et manque d'imploser quand un visage connu se dessine dans le clair-obscur. Une des Six. Depuis son arrivée, on ne cesse de lui clamer les noms de ces grandes pompes de Pangée, les six rois et reines. Celle-ci, Kyoto la reconnaît tout particulièrement. La Reine des Exilés, Varsovie. Son portrait imprimé sur la photographie qu'on lui a présentée à son arrivée l'a tout particulièrement marqué par son excentricité : une crinière de feu encadrant un visage au regard intense, un charisme intrigant. Et ce clan, ceux dont on n'a pas voulu ou qu'on ne voulait plus, les exclus. Akira... Son souffle est court quand la femme approche son visage du sien, si près qu'elle en vient à sentir sur sa peau la chaleur de la braise au bout du mégot. Ses doigts s'attardent un peu trop sur son épiderme pour lui faire tourner son faciès et mieux l'inspecter, l'imprimer sûrement pour mieux la punir de son insolence. C'est alors qu'un flot de sentiments envahissent par surprise l'empathique. Un don si récent, si surnaturel qu'elle en oublie bien souvent l'existence. Une curiosité mordante, avec un soupçon lointain de tristesse nostalgique, une tristesse du passé, ensevelie sous les années du temps qui passe. Une douce mélancolie. Un soupçon de bienveillance semble cependant se mêler dans la ribambelle de sentiments, ce qui détend un peu le corps de la gamine.

Le flot s'appauvrit quand la femme aux cheveux de feu lâche son emprise. Une courte accalmie avant que se succède les questionnements et la demande de justification quant à la présence de la douce dans les rues nocturnes. Kyoto écoute les paroles de son interlocutrice, mais tente tant bien que mal de chercher une défense pour éviter de se faire punir pour son outrage aux règles. Et si elle lui disait la vérité ? Après tout cette femme a l'air de tout savoir, jusqu'à l'identité de Kyoto. Et puis quel mal à tenter de retrouver un proche ? Certes, sa manière de faire n'est peut-être pas la bonne mais sa finalité reste louable. Nombreux sont dans son cas, du moins elle le croit. Pensée naïve qui lui causera certainement sa perte, elle s'humecte les lèvres et tente de ne pas faire dérailler sa voix sous l'émotion. « Je... » Raté. « Je suis désolée. Je cherche seulement des renseignements sur un proche. » Intimidée par la femme, Kyoto braque instinctivement ses yeux sur le sol, de peur d'offenser la Reine. « Pardonnez mon imprudence, cela ne se reproduira plus. Je... je vais rentrer, c'était idiot de ma part. » Son corps se tourne vers la direction d'où elle vient, prête à partir quand Varsovie lui en intimera l'ordre. Fragilité d'esprit, elle est envahie par la peur d'être renvoyée de la Pangée et de perdre tout espoir de retrouver son frère.

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Tabac froid sur le bord des chicots, ça sent la nicotine morte sur le bout de la langue. Les yeux farfouillent sur le masque qui se disloque, contemplent avec une totale attention la bouche qui culbute les mots. Et elle se met à sourire, de ce petit rictus quelque peu moqueur, celui qui a tant fait couler le sang sur sa chair, celui qui a pété les mâchoires de coups secs. Et Varsovie la laisse marmonner encore, tenter de happer les phrases pour justifier l'acte d'insoumission. ça lui rappelle sa propre silhouette, celle qui déballait milles excuses alors qu'elle se faufilait pour voler un homme. « Balivernes, vous ne rentrerez pas. » En premier lieu, l'on pourrait croire qu'elle va la dénoncer, la torturer, peut-être même en faire son quatre heures. Mais quand on connait l'électron qui vacille dans le noir, on sait qu'il n'en est rien. « Du moins, je ne m'y risquerais pas non plus, il est fort probable qu'ils aient déjà remarqué votre absence et qu'ils vous punissent pour l'exemple. » Un peu théâtrale, elle se penche vers la petite poupée en haussant un sourcil. « Les Monarques soignent leur réputation avec douceur, sans nul doute. » Et elle continue de se marrer comme une enfant rirait à sa propre blague.

Petite insolente qu'elle est.
« Et cessez donc de vous excuser, je serais bien la dernière à juger vos actes, quels qu'ils soient. » Elle, l'Exilée, la moins que rien, la merde qu'on foutrait dans le caniveau avec entrain. Non, elle n'est pas vierge d'actes stupides, elle en est même loin. Marionnette de sa propre soif de liberté, elle n'a cure des règles des Hommes depuis les premières pensées concrètes dans la caboche. Il serait foutrement ridicule que de faire l'apogée de la bienséance. « Finalement, vous feriez peut-être une bonne Exilée. » Elle soupire un moment, tandis que le petit corps s'achemine davantage vers le Petit Poucet. « Bien, puisque je n'ai nulle autre distraction ce soir, j'imagine que vous ferez l'affaire. » Se pavanant vers la sortie de l'impasse, elle constate le manque total d'activité à l'arrière.

Alors, elle se retourne, la donzelle. « Eh bien, venez ! Je vous accompagne, personne ne vous punira si vous vous promenez avec la Reine, venez ! » Et tandis qu'elle se met à sourire en dodelinant de la tête, Varsovie sort une deuxième - ou une vingtième - clope de sa poche pour la hisser dans son bec. « Qui plus est, je connais quasiment tout le monde, dans cette ville. » On ne peut connaitre mieux une ville qu'en vivant dans ses égouts...

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L'obscurité la ronge, lui bousille l'estomac. Clair de lune faible qui n'éclaire que futilement le commun des mortels, à peine de quoi distinguer les visages. La douce essaie d'analyser celui de Varsovie, mais la femme aux cheveux de feu est aussi dure à décrypter que les plus grands mystères de ce monde. On lui a appris que les Rois et Reines de la Pangée étaient tout-puissants. Palabres que les Monarques lui ont enseigné, doux venin pour que les nouveaux oisillons se tiennent à carreau et ne sortent pas du rang. Mais Kyoto est naïve, elle a bu leur parole comme du petit lait et est persuadée à cet instant que la Reine des Exilés va lui infliger les pires humiliations. Ses paroles ne font qu'accentuer sa peur. Elle ne rentrera pas qu'elle lui dit. Les Monarques sont déjà au courant pour son escapade nocturne, elle sera punie pour l'exemple. C'est fichu. Le poids de son corps pèse lourd sur ses genoux frêles et tremblants. Elle s'inquiète pour son cas mais encore plus de savoir qu'elle a sûrement perdu la trace de son frère pour toujours. Varsovie se gausse, de son malheur pense-t-elle, mais la conversation prend un tout autre tournant qu'elle n'a guère vu venir.

Aide dissimulée sous un besoin de distraction, la femme s'avance, sur le départ. Kyoto ne comprend pas tout de suite. Encore paralysée par la peur, ses jambes restent raides, comme coincées dans le béton sous ses pieds. Est-ce un test pour voir jusqu'où son insolence ira ? La douce est bien trop innocente pour se poser la question et se hâte pour rejoindre la marche de la Reine. Sa plaidoirie tient la route, elle évitera très certainement la sanction si on la trouve auprès d'une personne de haute stature. Elle marche à ses côtés, les mains jointes et le regard fixé sur le macadam. Marche-t-elle à sa perte, seul le temps lui dira. Son attention est captée quand la femme évoque avoir le bras long. Kyoto relève hâtivement les yeux vers elle, hésitante quand à lui poser la question. « Peut-être connaissez-vous la personne que je recherche... » Elle marque une pause, cherchant ses mots. Identité effacée au moment où les volontaires franchissent la porte de la Pangée, retrouver quelqu'un avec un nouveau nom est une tâche ardue. « C'est mon frère. Son nom est... était Akira. On l'a envoyé ici contre son gré. » Maigres informations, elle tergiverse à lui parler du passé de Yakuza de son frère, cela lui semblerait étonnant qu'il ait confié ceci à quelqu'un. « Il vient du Japon, il a été arrêté et enfermé pour... ses crimes. Mais comme il était trop turbulent ils l'ont envoyé ici. Vous le connaissez ? » La douce cesse d'avancer et se tourne vers la Reine. Les yeux plantés dans les siens, ils sont emplis d'espoir mais aussi de tristesse.

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Peut-être. Peut-être pas.
Les rats connaissent mais ne voient pas. Aveuglés par la lumière d'un jour trop éclatant, nombreux sont ceux qui murmurent en prétendant être omniscients. Pourtant, la foule s'anime et n'a pas toutes les réponses. Parfois, il faut trouver le bout d'os dont on veut connaître l'origine, le ronger jusqu'à la moelle pour noyer la cervelle d'informations, historique morbide qu'on n'obtient qu'en distillant la chair à coup de cannibalisme. Non, elle ne dira rien. Non, elle ne frémira pas. Varsovie est à l'apothéose d'une gloire évincée par la plèbe, ce petit peuple qui piétine en pensant faiblesse, tandis que le nombre pourrait bien faire le reste. Et ce n'est pas en séchant les sanglots des femmes et en cirant les pompes des hommes qu'elle a endossé le rôle de la Mère des Vermines.

Un frère. Une ombre sanguine qui divague entre les murs d'enceinte. Alors les pensées accostent le cerveau, tentent de suivre une boussole qui n'indiquerait qu'une âme perdue ici. « Votre frère, hm... » Maigres informations. Si les noms de code s'ébruitent au fil de l'eau, les prénoms, quant à eux, ont bien du mal à passer les mailles du filet. « Ce sont de maigres informations que vous avez là. » Elle exile ses souvenirs, traversant la jungle de portraits qu'elle a pu croiser en ces lieux depuis peu. Plantée devant elle, Kyoto a l'oeil plein d'espoir. Varsovie lui donnerait la lune en offrande, si elle le pouvait, innocence qui suinte, protection qui danse. « Un ancien prisonnier... Vous avez de la chance. » Et elle se met à sourire, gaiement, comme une gosse à qui on viendrait annoncer la venue du Père Noël. « J'en suis moi-même une. Et si nous partageons cela, je ne devrais pas tarder à retrouver sa trace. » Clope au bec, elle sort un morceau de papier de sa poche, griffonne un numéro en son sommet. « Mon numéro de téléphone. Quand vous en aurez un, appelez-moi, je vous dirai si j'ai quelque chose. » Elle le glisse dans ses mains presque froides. « Et si vous n'en avez pas, eh bien... Venez me rencontrer dans les Terres Grises, demandez-moi, je viendrai. » Responsable. Elle se fait responsable. Quête supplémentaire dans le creux de l'âme en peine. « Il se fait tard, et je doute que vous trouviez votre frère par hasard entre deux ruelles obscures. Venez. Je vous raccompagne. » Et elle emboîte à nouveau le pas, crachant la nicotine entre ses naseaux. Le cerveau toujours en ébullition.

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L'espoir qui s'insinue dans son être, bouffant tout soupçon de rationalité et pragmatisme. L'espoir est ce qui l'anime depuis qu'elle a appris le sort d'Akira, un espoir aveugle de le retrouver alors que les chances sont très minces. Le garçon est sûrement mort dans entre les scalpels des scientifiques de Pangonium avant même d'avoir posé le pied en Pangée. Et même s'il avait survécu quelles seraient les chances de le retrouver dans cette immense ville ? Akira a toujours été un marginal, une ombre qui ne se fait guère remarquer. Le retrouver, surtout avec un nom de code inconnu, est une tâche bien trop colossale. Mais l'espoir est tout ce qui lui reste, Kyoto est jeune, naïve et bien trop innocence pour envisager le pire. Elle ne connaît que les fins heureuses, étrangère des coups de pute de la dure réalité. Petite poupée en porcelaine immaculée de toutes fissures. Les yeux larmoyants, elle prie pour que la Reine des Exilés lui donne ne serait-ce qu'une seule piste. Mais il n'en est rien : maigres informations, maigres réponses. Petite flamme d'espérance cependant quand Varsovie lui révèle partager le même passé d'ex-taulard que son frère, augmentant ainsi les chances d'une recherche fructueuse. Maigre bonne nouvelle qui illumine cependant le visage de la douce. Il ne lui en faut pas beaucoup, juste un fil à quoi se raccrocher pour ne pas sombrer dans le désespoir. Akira est tout ce qu'elle a. La bienveillance de la Reine la touche particulièrement, elle attrape le bout de papier que cette dernière lui tend, son numéro de téléphone qu'elle tient précieusement entre ces doigts comme s'il s'agissait d'un trésor. « C'est vraiment très gentil de votre part, merci beaucoup ! » Âme apaisée, son sourire irradie de joie ; si elle ne trouve aucune information ce soir, elle se fait cependant une alliée de poids qui l'aidera elle l'espère à connaître le fin mot de sa quête.

Ce n'est donc sans aucune forme de protestation que la douce acquiesce quand Varsovie lui propose de la raccompagner à la couveuse. « Merci, je suppose qu'avec vous à mes côtés, je n'aurai pas d'ennuie à mon retour... » Demi-tour, Kyoto baisse les yeux sur le sol, soudainement refroidie à l'idée de devoir s'expliquer si quelqu'un s'est aperçu de sa fugue nocturne. Le regard se porte sur la femme entourée de fumée après avoir recraché la nicotine. Varsovie était l'une des rares personnes à qui elle avait parlé de son frère. Vague impression de partager un semblant de quelque chose, elle se risque à en apprendre plus sur elle, à dépasser les récits qu'on lui avait comptés sur elle à son arrivée. Kyoto pourrait être effrayée de se trouver à côté d'une potentielle criminelle mais pourtant elle se sent naïvement en sécurité auprès d'elle.  « Vous avez donc été en prison... Est-ce qu'on vous a forcé à venir ici vous aussi ? Ou bien c'était votre choix ? » Si elle pourrait se montrer curieuse quant à la cause de son emprisonnement, la douce s'inquiète plutôt du bien-être de la femme et de ses conditions d'entrée dans cette cage dorée qu'est la Pangée.

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Gentille. C'est vrai qu'elle l'est. Elle le dissimule à peine, Varsovie. Paume de la main tendue vers les autres, elle fait une Reine-Mère que la majorité ont tendance à surestimer. Pourtant, nombreuses furent les fois où elle a flirté avec l'indécent, avec le malveillant. A croire que la caractère ressemble davantage à deux faces d'une même pièce, qu'on lancerait pour un pile ou face infernal. Face, le bon, pile, le mauvais.

Alors, Varsovie ?
Pile ou face ?

Il n'y aura pas de mauvaise surprise pour Kyoto ce soir. En particulier ici-bas. Là où Madame est Souveraine. Et même au-delà. Qui viendrait cracher son venin sur la Reine des Exilés ? Qui ? Qui oserait ? Elle l'attend, le prochain à tenter l'expérience, pour lui asséner un coup fatal. Prise à la glotte pour faire taire les ires. Histoire de réduire au silence le malin qui lui aurait fait perdre son temps. Accrochée à sa clope, Varsovie observe les petites rues si paisibles. Du moins, en apparence. Elle les connait, ces recoins, où se cachent les sévices d'une population dans le déclin. La question amène la concentration soudaine sur la poupée blonde, comme une gifle soudaine qui amène avec elle de multiples souvenirs maladroits. « Voilà une question très directe pour une gamine tout fraîchement arrivée ! » Elle pourrait refuser de répondre. Elle pourrait. Mais l'innocence qui émane des traits voisins lui semble digne de confiance. Comme un enfant encore trop pur pour souhaiter créer le mauvais autour de lui. Alors, sans aucun apparat, Varsovie dévoile un morceau de son passé. De toute évidence, ne lui a-t-on pas déjà arraché ? « Qui souhaiterait venir ici de son propre gré, s'il est sain d'esprit ? Nous avons tous perdu quelqu'un, ou perdu quelque chose. Peut-être même le sens de la vie. Moi, j'ai perdu quelqu'un, et ça m'a rendue folle. Si folle que j'en ai foutu le bordel partout où j'allais. Quand on m'a amenée ici de force, j'ai compris que non seulement je me faisais du mal, mais que j'en faisais aussi aux autres. » Le nuage de nicotine perce ses poumons comme des poissons passeraient librement à travers un filet. « Finalement, je ne peux pas vraiment regretter d'être atterrie ici. ça m'a appris à me soucier des autres et de moi-même. Comme quoi le pire peut parfois apporter du bon. J'imagine que je serais morte quelque part, toute seule, si on ne m'avait pas exclue entre ces quatre murs. » Pendant quelques instants, son esprit divague sur le visage de Cléo. Sa douce, tendre, Cléo. Le pire, c'est qu'elle ne sait même pas si le cerveau dicte les bons traits. Elle croit même les avoir oubliés. C'est flou, c'est vague. ça la rend cinglée. « Et toi, petite, qu'est-ce que tu vas foutre ici ? Je veux dire, si jamais ton frère n'est pas là, hein ? Tu as pensé à ce que tu ferais, si tu es venue ici pour rien ? » Les deux pieds dans le plat, comme à son habitude.