ESPOIR Les phalanges s’agitent sur son abdomen rebondi, les prunelles de ses yeux ne sachant comment s’en détacher. Elle peine à croire qu’un petit être, une parcelle de lui et elle est en train de prendre pied dans ce monde en son sein. Les joues lui brûlent de sourire sans cesse, et Mina ne peut s’en empêcher, inlassablement. Elle lui susurre des mots, des histoires, de belles et de sombres vérités sur l’humanité, refusant de la bercer d’illusions comme on a tenté de lui faire croire, des années durant. L’épiderme est doux, douceur qui protège cet être qui prend toute la place, étouffe tout le reste, met sur arrêt toute priorité n’ayant pas un lien avec la sécurité de ce bien trop précieux pour être exposé. Elle continue de glisser les doigts, espérant avoir une réponse favorable, un signe, une manifestation de cette vie qui se créé, impatience grandissante de la savoir force tranquille, du moins jusqu’à maintenant. Mina veut qu’elle se débatte en son sein, cherche à maculer ses côtes de coups en tout genre, ne serait-ce que pour savoir que la chair de sa chair sera un ouragan, comme elle, une battante, une survivante. Elle veut se persuader qu’elle aura la force de survivre dans le seul monde que Mina est en mesure de lui offrir, incapable de supporter l’idée d’une passivité ou docilité de quelque forme que ce soit, elle la veut insoumise et sauvage comme elle, n’acceptant aucun compromis. Alors elle le lui répète, mantra qu’elle aspire à lui léguer dès son premier souffle. Un sourire macule soudain ses traits, paume braquée sur le bas de son ventre, elle sent quelque chose.

Alors un cri de victoire se fait entendre dans ses quartiers,
Mina en est convaincue désormais, sa fille tiendra d’elle.

HORREUR Cri de mort, lamentations et gémissements qui n’ont de cesse, torturant toute âme qui vive faisant irruption dans le capharnaüm qui l’entoure. Elle n’a conscience de rien ni de personne, ne cessant son mutisme que pour vomir les sons de sa douleur, perte inconcevable et inacceptable d’une vie qui venait à peine de débuter. Personne n’arrive à supporter plus d’une dizaine de minutes en ces lieux, palpitant écorché par les plaintes incessantes, les bruits infernaux qui émanent des pulsions destructrices qui animent la jeune femme. Elle n’est plus que chaos et souffrance, incapable de fermer l’œil, incapable de ne serait-ce que tolérer la présence d’une autre personne. Les visites de ses parents s’espacent, ceux-ci incapable de supporter ce double deuil comme la folie semble s’emparer de leur enfant et que la Faucheuse berce maintenant leur petite fille. Vie arrachée au nom d’une politique à laquelle ils se refusent actuellement de penser. Des semaines qu’ils se sont acharnés, tempérament borné qu’ils ont transmis à leur fille, qui maintenant semble perdre tout contact avec la réalité, souffrance qui peut avoir raison de la raison elle-même, leur a-t-on murmuré à demi-mot.

Ils n’avaient encore rien vu.

VIOLENCE Les corps gisent à ses pieds, se multipliant depuis qu’elle a pénétré dans ce hangar abandonné, en bordure de Sarajevo. L’hémoglobine macule le sol et les murs, les chairs éclatées se retrouvent ici et là, épiderme arraché par la violence des coups  donnés, et elle trône fièrement, elle qui s’est proclamée Iris, déité de la discorde et du chaos, ne trouvant que la quiétude d’esprit et la sourdine des voix qui lui éclatent constamment le crâne qu’au beau milieu d’une hécatombe, insensible à l’odeur suffocante du carmin. Pour un peu, on pourrait y voir des démons danser, scène qui doit s’apparenté à ce monde infernal auquel les croyants n’ont de cesse de se référer.

Son regard se porte sur un jeune homme, à peine l’âge de son cadet, les phalanges encore accrochées à la crosse de son arme. Il n’a eu le temps que d’écarquiller le regard que la lame affutée de son poignard avait déjà caressé son cou, jugulaire découverte et le sang créant un portrait morbide sur le fauteuil clair lui faisant face. Mina passe doucement la langue sur ses lèvres, complètement dépourvue de considération pour ce qui y perle, observant son carnage, sourire carnassier qu’elle affiche tout au long de l’investigation qui suit inlassablement le bain de sang. Va-t-elle enfin mettre la main sur un document attestant du contrat mis sur la tête de son Almira, gamine de trois ans qu’on lui arraché au nom d’affiliations politiques ou de rétribution pour les décisions d’une lignée de soldats et de politiciens? Elle en est obsédée, consciente que sa raison l’a quitté, refusant catégoriquement de s’y intéresser tant qu’elle n’aura pas été exaucée…

Ils doivent tous payer,
Oui, tous, car ils la lui ont arrachés.

RENAISSANCE « Tu peux disparaître maintenant laisse-t-elle couler d’entre ses lippes, consciente du regard de l’homme qui partage sa couche, un Exilé qu’elle a rencontré en pistant du gibier. Elle fait fi des protestations, laissant quelques secondes s’écouler avant d’ouvrir les yeux, rivant son regard azuré dans les prunelles de sa source de divertissement de la veille Puisqu'étonnamment j’ai plutôt pris mon pied, je te donne 15 minutes avant de te traquer et te traîner comme un gibier. Je suis prête à parier que Singapour serait reconnaissante ». Une myriade de secondes plus tard, elle le regarde s’éloigner, observant avec l’esquisse d’un sourire les stigmates de sa violence qui macule son dos nu. Innocemment, comme elle a l’habitude de le faire depuis l’annonce de sa grossesse, il y a déjà quatre ans, elle s’autorise une caresse suintant d’affection sur son abdomen, douleur qui l’asphyxie la seconde suivante, avant de reprendre le cours de sa vie, celle où elle se refuse l’apitoiement, déléguant à son instinct de survie et aux habitudes la responsabilité la force de traverser une autre journée, une journée supplémentaire qu’on a refusé à son enfant, il y a de cela déjà des années. Cela lui semble d’hier, cumulant suite à l’exil comme sentence aux crimes commis, presse lui octroyant officiellement ce nom qu’elle s’était donnée comme esprit vengeur, cavalière dans cette justice mitigée obtenue par les armes. Entre ceci et la certitude que plus jamais son ventre ne sera habité – ultime outrage causé par une société qui n’a pas su protéger une bambine innocente.
En attendant de chasser, elle plonge dans l’eau à proximité de son campement.

Dans quelques minutes, c’est une nouvelle partie de chasse qui commence,
Et Sarajevo s'en pourlèche déjà les lèvres.