SA VIE SON ŒUVRE
C’est en 1958 >, dans la banlieue de Cardiff, la famille Harkness voit naître le jeune Charles, enfant unique arrivé par erreur sous un toit où il n’était pas nécessairement désiré. Le jeune garçon sera éduqué par un couple plus que conservateur qui lui apprendra que les garçons doivent être forts, avoir des muscles et ne pas pleurer.
Et Charles fera tout pour correspondre à ces attentes. Le jeune homme murera sa sensibilité et ses questions existentielles derrière une muraille impénétrable. Un rempart entre lui et ce monde sans cesse en mouvement, afin de ne pas se laisser déborder.
Charles sera fort. Charles sera taillé dans la roche.
Mais parfois, même la pierre la plus solide est impuissante face au torrent des émotions. Alors rien d’étonnant que les premières sautes d’humeur du fils Harkness aient commencé à apparaître durant son adolescence.
Au départ, rien d’inquiétant. Une grosse colère, où il envoyait valser les chaises autour de lui. Un gros chagrin, qui lui donnait envie d’attenter à ses jours.
Mais les changements d’humeur ne se sont pas arrêtés là.
Lunatique. Bipolaire. Soupe-au-lait. Cyclothymique. Les mots n’ont pas manqué, au cours des années, pour décrire le mal dont semblait souffrir Charles. Un mal toujours plus grand, toujours plus prégnant, qui empêcha le jeune homme de suivre des études supérieures alors même que tous ses professeurs notaient son remarquable potentiel.
Errance médicale, crise existentielle, Charles passa presque toute sa vingtaine prisonnier entre une farandole d’emplois dont il se faisait toujours licencier, les projets irréalisables pour aller décrocher la lune et les engueulades parfois musclées avec tous ceux qui avaient le malheur de croiser son chemin. Il coupa les ponts avec ses parents auquel il avait souvent l’impression de faire honte. A vrai dire, il coupa les ponts avec tout le monde.

Et un jour, 1986 >, Margaret.
Charles avait 28 ans, commençait à se résigner à cette vie médiocre et solitaire dont il n’attendait finalement plus grand-chose.
Margaret le trouva. Elle parvint à percer l’armure, à faire rompre la digue. Lentement, à force de tendresse, elle éroda la pierre dont s’était entouré le cœur de Charles. Ce dernier ne s’y attendait pas, ne s’y attendait plus, et accueillit dans sa vie cette femme à qui il devait tout. Les sautes d’humeur se calmèrent, comme si, à deux, ils avaient enfin trouvé un équilibre.
Pour elle, il se résolut à trouver un emploi stable en tant que manutentionnaire. Un travail physique qui lui permit de mettre à profit ces années de luttes dans les rues et d’avoir les revenus nécessaires pour assurer à sa belle une vie digne de ce nom.
En 1992 >, Charles et Margaret quittèrent la capitale pour se marier dans le Nord du pays, à Wrexham, où la jeune femme avait de la famille. Après leur union, un Mr. Harkness déjà bien expérimenté trouva un emploi dans la logistique d’une usine locale.
Cette période reste, encore aujourd’hui, la plus heureuse de l’existence de Charles. Il oscillera longtemps entre le souhait d’avoir un enfant avec Margaret et la peur de transmettre sa tare, son instabilité psychologique, à sa descendance. Finalement, le couple décida d’essayer, malgré leurs âges avancés … le temps leur était malheureusement compté.
Car la suite, hélas, est bien connue de tous.
Une maladie. Un Fléau. Des morts. Par milliers. Par dizaines de milliers.
Le couple Harkness, dans sa campagne, n’eut pas la réactivité des grandes villes : ils ne se décidèrent à rejoindre une zone de quarantaine qu’une fois le Fléau bien ancré, et les populations ravagées presque intégralement réfugiées dans des camps. La zone de quarantaine la plus proche, celle de Liverpool, était déjà quasiment pleine lorsqu’ils arrivèrent.
Quelques places restaient encore, pour lesquelles Charles tenta vainement de se battre.
Lorsqu’un anglais revendiqua avec véhémence son droit sur l’espace restant en zone de quarantaine, Charles sentit de nouveau une de ces bouffées de colère l’envahir. Il provoqua l’homme en duel, à mains nues, là, dans les rues de Liverpool.
Alors que Charles frappait l’anglais de toutes ses forces, il sentit la vie de l’homme s’évanouir sous les coups de ses poings. Il s’était laissé emporter, de nouveau, par sa rage.

2002 > Il ne fallut quelques minutes aux forces de l’ordre pour arrêter Charles et pour l’emprisonner. Il aurait voulu se débattre, il aurait voulu lutter, s’enfuir, peut-être.
Mais le regard de Margaret l’arrêta. Ce regard déçu. Effrayé, presque. Ce dernier regard que lui lança Margaret, alors même qu’il se faisait passer les menottes et incarcérer. C’est ce regard qu’il retiendrait, qui le hanterait. Pas la figure de l’homme qu’il avait battu. Pas son sang qui coulait sur le bitume. Non.
Le regard de Margaret.
Charles se laissa emprisonner. Après tout, il était coupable. De cette manière, il ne blesserait personne d’autre.
La brèche dans la muraille qui entourait son cœur s’était refermé. Il vivait seul, dans sa cellule, en isolement parfois, se laissant balloter par sa colère et sa tristesse. Le temps n’avait plus de sens pour lui. En vérité, plus rien n’avait de sens pour lui.

2011 > Un spot du Pangonium diffusé dans la prison. C’est tout ce qu’il lui fallait. Une deuxième chance. Un nouveau départ. Un moyen de sortir de ce trou où il sombrait dans une douce folie.
Charles entra en Pangée en septembre, au début de l’automne. Prenant le nom de Stonehenge, il s’efforça de faire table rase de son passé. Au lieu de refuser la violence des émotions négatives qui l’agitaient, il décida de les embrasser pleinement en rejoignant le clan des robustes.
Son travail au centre de ressources, proche de ce qu’il avait connu auparavant, lui apporta un cadre important à son équilibre. Stonehenge luttait toujours contre ses sautes d’humeur, devenues plus dangereuses avec l’arrivée de sa capacité. Mais il avait trouvé un nouveau départ.
Et il mit toute en œuvre pour ne pas gâcher cette chance.