In the middle of difficulty lies opportunity | Ft. Kingston
PUISSIEZ-VOUS MOURIR POUR VOTRE MAÎTRE.
In the middle of difficulty lies opportunity
- Alors voilà, il devrait être ici.
- Devrait ?
- C'est ici qu'il se trouve d'habitude.
- D'habitude ?
- Eh bien...
Caraquet soupire, elle lorgne rapidement sa montre, il est cinq heures. De l'après-midi et pas du matin, elle ne se serait pas permis. Elle soupire une deuxième fois, les terres grises sont les mêmes que dans ses souvenirs d'il y a quelques années, rien n'a bougé. La même misère, les même miséreux, les même regards de travers, trop de fierté dans l'air. Elle soupire en regardant la bâtisse qui lui fait face et elle soupire en entendant son collègue judicieux lui avouer qu'il n'a absolument aucune idée d'où peut bien être le dénommé Kingston, en vérité. Elle ne lui en veut pas, elle s'imagine que ça ne doit pas être simple d'avoir l'emploi du temps d'un trafiquant de drogues, petit électron libre qui défie à lui seul toutes les fondations de leur société. Ça l'effraie sûrement autant que ça la fascine, Caraquet.
- Bien, merci. Je vais me débrouiller maintenant.
- Mais...
Le regard que jette la reine et sa couronne invisible est sans appel : il faut décamper. Vite. Il n'a pas l'air rassuré, le judicieux qui l'accompagne. Elle non plus ne l'est pas, mais au moins elle fait semblant. Asteria ne craint pas les exilés ni leurs célèbres coups d'éclat, ce dont elle a peur c'est d'échouer. Échouer à le convaincre de le laisser étudier sa faculté, se ridiculiser, repartir la queue entre les jambes et noyer son chagrin dans un grand verre de vin. Ce n'est pas un scénario qui lui plait, pas du tout. Elle a longtemps hésité à envoyer quelqu'un d'autre, quelqu'un doué avec les mots, quelqu'un qui saurait négocier avant de se décider à s'y rendre elle-même. Après tout, c'est son étude. C'est elle qui est intéressée par cette faculté. Son étude, ses oignons, son problème, son dealer à convaincre.
- Bon sang...
L'immeuble semble toujours désert quand elle fait claquer ses talons sur le sol défoncé, elle s'avance. Caraquet fait quelques pas et pousse la porte du bout des ongles, comme si elle craignait de faire exploser quelque chose ou peut-être que tout s'écroule sur sa tronche. Ce n'est pas le cas, l'endroit tient bon.
- Bonsoir ?
La brune balaie la pièce du regard, personne. Il semble y avoir un étage mais elle ne se permettra jamais d'y monter. Silencieusement, elle prie pour que le jeune homme fasse son apparition. Sa simple présence ici montrait à quel point sa faculté l'intéressait, cette faculté encore jamais croisée, si spéciale et qui doit coûter à son utilisateur tant d'énergie, infliger tant de souffrances à son corps. Caraquet aimerait voir ça de plus près depuis qu'elle en a entendu parler, et elle sait que Kingston en a été informé. Elle ne s'attendait pas à ce qu'on lui déroule le tapis rouge, mais un silence, c'est nouveau.
- Je suis Caraquet, judicieuse. J'aimerais vous parler de votre faculté, je suis sûre que nous pouvons trouver un terrain d'entente.
La jeune femme resserre nerveusement les pans de sa veste avant de croiser les bras. Elle ignore encore ce qu'elle compte bien lui proposer, mais espère trouver rapidement.
Caraquet
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Adelaide Kane
sœurs d'armes
08/06/2020
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Il tomba sur le lit, lessivé par sa gymnastique en tandem. Coup d'oeil sur la fille. Une jolie blonde qu'il avait rencontré aux Terres Noires, facile et avenante, il avait l'habitude. Elle était le lièvre innocent, il était l'aigle royal aux serres aiguisées : il ne lui avait laissé aucune chance. " Je sors, j'ai besoin d'une clope... d'air frais." déclara-t-il à la fille, toujours à bout de souffle, les joues empourprées par l'effort. " Et de plus voir ta tête de blondasse." pensa-t-il. Son devoir accompli, l'intérêt qu'il montrait à la fille était brutalement retombé. Il avait eu ce qu'il voulait ; il pouvait à présent passer à la suite. Avec les femmes, c'était toujours ainsi. Son absence de morale et d'éthique empirait quand il s'agissait de ses relations amoureuses. Il piocha une cigarette de contrefaçon dans le paquet froissé qui traînait sur sa table, enfila un pull, et s'engagea dans les escaliers qui menaient à l'entrée.
C'est alors qu'il entendit une voix lointaine, provenant tout droit du hall.
"Je suis Caraquet, judicieuse. J'aimerais vous parler de votre faculté, je suis sûre que nous pouvons trouver un terrain d'entente."
Stupéfait, il dévala les escaliers à toute allure.
Une femme. Qui se tenait au milieu de la pièce, comme une tulipe parmi la crasse. Décidément, c'était le festival, en ce moment. Les gens allaient et venaient chez lui comme dans un moulin. Il craignait que son taudis ne soit devenu une sorte d'attraction incontournable des Terres Grises, idéal pour les sorties en famille.
Sa faculté ? Mais de quoi pouvait-elle bien parler ? C'était, peut-être, un code. Peut-être qu'elle venait consommer.
Il n'avait pas pris attention, mais il reconnut enfin ce visage, qui lui semblait étrangement familier. Pas de doute, Caraquet, il avait entendu ce nom-là quelque part. Il avait devant lui ni plus ni moins qu'une monarque ; la reine des Judicieux se tenait là, droite et ferme, plantée dans le hall son trou à rats. Merde. Un membre de la hiérarchie ici, ça sentait, sans doute aucun, la merde. Mais qu'est-ce qu'elle lui voulait ? De l'argent ? Le mettre aux fers ? Le tuer, peut-être ?
" Ma faculté ?" murmura-il. La stupéfaction lui avait fait oublier qu'il était en colère. " Euh.. Eh ben, je prends celle des autres. Simple. Mais ça me tabasse les yeux, quand j'utilise ça trop longtemps." Il marqua une pause, reprenant ses esprits. "Rappelez-moi pourquoi vous faites effraction chez moi, déjà ? J'imagine qu'en tant que grand gourou de rats de labo, on se croit tout permise. J'espère que vous avez une bonne raison de venir me déranger en pleine..." Il réfléchit à une manière appropriée de nommer ses ébats. " ...séance d'étirements."
Il descendit les marches, pour arriver au niveau de Caraquet. C'était une jolie femme, qui devait orbiter autour de la trentaine. Petite, brune, son visage était grave, et semblait se priver d'émotions. Un sérieux inébranlable habitait ses grands yeux noirs, qui semblaient vous cerner en une fraction de seconde dès qu'il posaient leur regard perçant sur vous. Une bouche épaisse, barrée de deux lèvres pulpeuses, paradait sur son visage rond. Ç'aurait pu être une bombe, s'était dit Kingston, mais la reine des Judicieux aspirait à des choses autrement plus profondes que d'être une top-model.
Il en profita pour allumer sa cigarette. Narquois, il projeta un nuage de fumée en direction de Caraquet, pour la provoc.
Kingston
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Kingston
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En tendant l'oreille, elle réalise que ça s'agite là-haut. Mince alors, est-ce qu'elle dérange à ce point ? Elle perçoit un son, puis deux, et puis elle comprend. Merde alors, elle dérange vraiment. Elle n'a plus l'âge d'en rougir, mais elle peut encore lever les yeux au ciel. Tant de temps perdu à batifoler, ça lui donne des envies de violence. Ou alors peut-être que c'est la jalousie qui l'étouffe, elle qui n'a jamais vraiment su comment lâcher prise de cette façon. Elle n'a ni le temps ni l'envie d'en débattre, pourtant. Elle est ici pour une raison précise et d'une toute autre importance. Après une petite dizaine de minutes de torture, Kingston apparaît enfin. Il est là, tout drapé de désinvolte, les joues encore chauffées de ses exploits. Caraquet soupire, pour la millième fois. Elle le surprend et ça l'étonne un peu, elle s'imaginait qu'on l'aurait mis au courant de ses intentions. Visiblement, ses chers petits Judicieux n'ont pas osé se mouiller dans cette affaire et l'ont envoyé sans regret se jeter dans la gueule du loup. Bien. Elle aurait volontiers feint la surprise, mais ses talents d'actrice sont relativement limités.
Kingston débarque donc et n'oppose pour l'instant pas grande résistance, il consent même à lui donner quelques détails qui éveillent tous ses réflexes scientifiques. Prendre ? Dérober ou dupliquer ? Des douleurs oculaires ? Pourquoi ? Comment ? Seulement ? Caraquet s'était imaginé qu'un tel pouvoir aurait des conséquences sur l'ensemble de l'organisme du volontaire, mais non. Ça l'intéresse, ça l'intéresse beaucoup et ça se voit de la façon dont ses yeux brillent. Mais la suite se gâte, le ciel s'assombrit.
- Oui, tout à fait.
Elle roule des yeux, quand bien même elle aurait aimé être capable de s'en empêcher. Entrer par effraction, tout de suite. Alors elle ironise, affirme clairement qu'en grand gourou de sa secte scientifique, elle se permet d'entrer chez les gens sans permission. Ce qui n'est pas tout à fait vrai, mais peu importe. Elle aurait aussi aimé lui répondre que ses séances d'étirement avaient dû l'obnubiler au point qu'il ne l'avait pas entendu frapper, mais elle avait bien trop peur de passer pour la mégère aigrie qui ne s'est pas envoyé en l'air depuis l'an 2000.
- La porte était ouverte, et j'ai frappé. On a déjà vu plus glorieuse effraction.
Les bras toujours figés, sévèrement croisés, Caraquet détaille le jeune homme du regard. Elle a l'impression que si on avait voulu fabriquer son exact contraire, c'est lui qui serait ressorti. Elle n'est pas à l'aise ici, sur son terrain, dans ce monde si loin du sien. Pourtant, elle sait que c'est elle qui a une faveur à demander. Elle sait qu'elle n'a aucun intérêt à se fâcher avec l'exilé.
- Plus sérieusement, je m'excuse de vous avoir dérangé. J'ignorais si vous seriez chez vous, c'était ouvert, alors je me suis permis d'entrer. Je viens sur recommandation d'un de mes confrères, un de vos clients.
Elle baisse un instant le regard, un poil honteuse. Ce sont ses drogues que ses confrères viennent chercher ici. Sa came qu'elle déguste trop tard le soir, quand elle est trop fatiguée pour lutter plus longtemps. Elle se reprend bien vite pourtant, pas question de perdre du temps.
- Il a eu vent de votre faculté, votre incroyable faculté. Je mène actuellement une étude sur les conséquences de nos modifications génétiques, c'est la première fois que j'entends parler de quelque chose de similaire.
Elle débite un peu automatiquement, comme un robot particulièrement bien programmé. Elle a conscience qu'on pourrait faire plus vendeur, mais c'est comme ça qu'elle fonctionne. Elle ne sait pas enjoliver, alors elle établit clairement les faits.
- J'aimerais vous faire passer une série de tests dans le cadre de cette étude.
Et elle soupire, encore. Décidément, elle va atteindre son record. Ou alors elle souffle simplement, comme si elle venait de passer une épreuve orale et qu'elle était évaluée par un jury particulièrement exigeant. Peut-être un peu les deux finalement, elle souffle soulagée d'avoir fini son laïus et soupire parce qu'elle sait que le plus dur reste à venir.
Caraquet
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Adelaide Kane
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" Plus sérieusement, je m'excuse de vous avoir dérangé. J'ignorais si vous seriez chez vous, c'était ouvert, alors je me suis permis d'entrer. Je viens sur recommandation d'un de mes confrères, un de vos clients."
Un confrère, hein ? Kingston ignorait qu'il avait des clients parmi les Judicieux. Il les pensait trop lucides et clairvoyants pour s'inhiber de la sorte, mais les grands esprits avaient apparemment eux aussi besoin de voyager. Cela dit, il était flatté que son nom fasse écho jusqu'à la reine d'un clan. Il commençait à se faire un nom : "Bon pour les affaires, ça." jubila-t-il en son for intérieur.
"Il a eu vent de votre faculté, votre incroyable faculté. Je mène actuellement une étude sur les conséquences de nos modifications génétiques, c'est la première fois que j'entends parler de quelque chose de similaire."
Cette femme était décidément un vrai cyborg. Elle énonçait les mots comme des lignes de code, récitant une comptine automatisée de la manière la plus optimale possible. Nul doute, y'avait pas de mensonge : on avait bien affaire à la Reine des intellos, en personne. Kingston s'assit sur les marches, toujours en caleçon. Caraquet lui donnait déjà des maux de tête.
"J'aimerais vous faire passer une série de tests dans le cadre de cette étude." récita Caraquet, visiblement pressée d'en finir et de détaler au plus vite.
" Une étude ?" Kingston rit aux éclats. " De un, ma bonne dame, je flirte pas avec la hiérarchie, tous les beaux gosses en costume, etc. Je veux pas d'affaires avec ces connards condescendants ; il n'ont pas vent de mon existence et ça me convient tout à fait." Son ton s'était aussitôt raffermi. " De deux, vous pensez sérieusement que j'ai du temps à mettre pour passer vos foutus tests ? Vous pouvez clairement aller vous faire foutre, j'préfère être sincère. Trouvez-vous une autre bête de foire."
La fumée franchit le rideau métallique de sa mâchoire, sertie de grillz argentés, et s'évanouit doucement dans l'air. Nouvelle taffe. Il regardait Caraquet droit dans les yeux, et ne pouvait s'empêcher de se dire qu'elle était vraiment pas mal. Mais sacrément gonflée, la scientifique.
" Et puis, j'vois pas ce qu'elle a de si dingue, ma faculté. Allez à deux rues d'ici, sur la gauche, y'a un type qui fait l'alphabet en rotant. Ça c'est du phénomène."
Kingston
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Kingston
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Elle s'attendait à quelque chose de similaire, mais n'aurait jamais pu imaginé ça. La brune resta un moment les traits légèrement figés, on pouvait presque voir les rouages de son cerveau turbiner à toute vitesse. Mince, il lui a dit d'aller se faire foutre. D'après les codes sociaux de leur société, c'est pas très gentil. Et en plus de ça, ça s'apparente un peu à un non strict et sans appel. Loin de sa zone de confort au point qu'elle ne la voit même plus, Caraquet met un long, peut-être trop long moment à savoir quoi faire et elle finit par rire. Rien d'extravagant, faudrait pas qu'il se croit drôle non plus, mais la situation avait tout du comique et s'imaginer aller frapper à la porte du type mentionné à la fin de la tirade de Kingston avait eu raison d'elle. Cara déplie finalement ses bras et passe rapidement une main sur son front. Visiblement, elle allait devoir faire mieux que ça.
- Bien. Vous ne traitez pas avec la Hiérarchie, je ne suis pas la Hiérarchie.
Vrai. Si elle en fait (malgré elle) partie, Caraquet s'identifie bien plus judicieuse que membre d'une quelconque organisation gouvernementale. Elle dort à la plupart des réunions du Conseil, en plus.
- Avant toute chose, je suis une scientifique. Et c'est en tant que scientifique je viens vers vous, pas en tant que membre de la Hiérarchie. Vous avez quelque chose contre nous aussi ?
Cara penche la tête, observant avec curiosité le jeune homme qu'elle avait visiblement épuisé au point qu'il ressente le besoin de s’asseoir. Curieux spécimen que celui-là, elle se demande bien comment il a fini dans le coin. Anglais visiblement, compte tenu de son accent. Intelligent, vu l'éclat dans ses yeux. Pas de la même école que la sienne, mais ça n'a pas d'importance. Caraquet admet volontiers l'existence de bien des intelligences, celle que l'on trouve dans les labos et derrière les blouses blanches n'étant pas la seule et unique.
- Je ne cherche pas une bête de foire, simplement de quoi améliorer le quotidien de toute la Pangée. Vos yeux vous font souffrir, c'est ça ?
Ou du moins, c'est ce qu'elle a cru comprendre avant que l'exilé ne l'envoie sur les roses de manière bien plus imagée.
- Je peux trouver un traitement pour atténuer la douleur. Mais pour ça, il faut du temps. De la patience. Et de nombreuses recherches, des expériences.
Et à ce moment là, elle ne peut pas s'empêcher de penser que tout aurait été beaucoup plus simple avec un judicieux. Avec eux, la moindre de ses petites folies passagères lui était accordée tout simplement parce que la curiosité les dévorait et que la science méritait à leurs yeux tous les sacrifices.
- Votre faculté est intéressante à mes yeux car elle exige de votre corps une immense capacité d'adaptation. En général, nos facultés sollicitent...
Ah, l'alarme a sonné. C'est l'alarme "attention Caraquet, tu risques de l'emmerder" qu'elle a fait installer depuis un moment déjà. Alors elle préfère se taire, ça vaut mieux.
- Enfin, peu importe. Si vous ne vous souciez pas d’épargner aux volontaires de toute la Pangée d'effroyables souffrances tout ça en ne m'accordant que quelques heures de votre précieux temps... pas de problème. J'irai voir le prodige qui récite l'alphabet en rotant, je suis sûre qu'il sera plus motivé.
Après sa pathétique tentative pour rendre son argumentaire moins académique, Cara hausse les épaules. On pourrait presque voir un sourire amusé réveiller ses traits. Presque.
Caraquet
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"Eh bien, je dois avouer que les vôtres ne m'ont toujours foutu la paix. Bien trop occupés à vous terrer dans vos bureaux. Et être dédaigneux avec à peu près n'importe quel être vivant dont le Q.I de ne dépasse pas six chiffres." Il marqua un temps de réflexion et se fendit d'un sourire narquois. " Et puis, vous payez bien."
Caraquet renchérit aussitôt. "Je ne cherche pas une bête de foire, simplement de quoi améliorer le quotidien de toute la Pangée. Vos yeux vous font souffrir, c'est ça ?"
Le sourire, nouveau venu, plia bagage aussitôt. La déesse du savoir en savait définitivement trop (bizarre, hein?). Il ne parlait à personne de ses douleurs oculaires, si ce n'est à quelques heureux élus, les soirs où il restait un peu trop accroché au goulot. Le fait que Caraquet ait eu vent de ce genre d'informations en disait long sur l'influence qu'elle avait ; en souveraine des Judicieux, elle tenait tout autant de l'organisme de renseignement que du troupeau de scribouillards en blouse blanche. Kingston l'avait jugé à la hâte ; il se promit de ne plus faire pareille erreur alors qu'il tirait nerveusement les dernières bouffées de sa cigarette.
"Je peux trouver un traitement pour atténuer la douleur. Mais pour ça, il faut du temps. De la patience. Et de nombreuses recherches, des expériences. Votre faculté est intéressante à mes yeux car elle exige de votre corps une immense capacité d'adaptation. En général, nos facultés sollicitent..."
Elle posa une auto-censure et Kingston vit l'embarras gagner la jeune femme. Recherches ? Expérience ? Se débarrasser de ce problème avec ses yeux ? Caraquet promettait gros. La méfiance naturelle du malfrat, profondément enracinée en lui, lui hurlait de ne pas croire à de tels boniments, mais la reine des nerds n'aurait jamais fait le déplacement en personne si elle n'était pas sérieuse.
Il sentit cingler alors une légère brûlure derrière ses orbites, comme si ses pupilles s'étaient soudain transformées en deux plaques à induction. A la mention même de ses douleurs, celles-ci s'invitaient vitesse grand V. Il passa une main impatiente sur ses paupières ; la douleur était légère, mais irritante. Il ne supportait pas.
"Enfin, peu importe. Si vous ne vous souciez pas d’épargner aux volontaires de toute la Pangée d'effroyables souffrances tout ça en ne m'accordant que quelques heures de votre précieux temps... pas de problème. J'irai voir le prodige qui récite l'alphabet en rotant, je suis sûre qu'il sera plus motivé."
" Vous promettez beaucoup, Caraquet." rétorqua aussitôt Kingston, qui quitta son nid de marbre et s'approcha de la jeune femme. "Vous en savez beaucoup sur moi, aussi. Un peu trop à mon goût, d'ailleurs. C'est le genre de détail qui attise la méfiance, vous savez ? Si je m'écoutais, je vous foutrais dehors et je me ferais oublier pour quelques jours."
Il jeta ce qu'il restait de sa cigarette, un pauvre mégot usé qu'il écrasa de son pied nu. Il avança vers la sortie et fit signe à Caraquet de le suivre. Alors qu'il arrivait devant le taudis, en pleine rue, il sentit le soleil tambouriner sur sa peau. Lui, il était toujours le bienvenu. La rue était déserte, comme d'habitude. Il avait choisi de s'installer, à raison, dans les zones les moins peuplées des Terres Grises ; il tenait bien trop à sa tranquillité.
" Si vous dites que vous pouvez m'aider à régler cette histoire de douleurs... J'peux peut-être envisager la chose. Avant, je dois vous montrer un truc, si vous voulez bien."
Il s'approcha de Caraquet et planta son regard dans le sien.
" Tendez votre langue, s'il vous plaît." Il laissa siffler un ricanement. " Enfin, si vous osez faire confiance à un tel rebut de la société."
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