Nairobi avait passé une vaste partie de la nuit dans son bureau, l’œil rivé à la lunette de son télescope. La pièce, située sur le versant ouest de la tour d’astronomie, n’était pas très vaste. Elle représentait pourtant l’un des havres de paix de la judicieuse : ces murs couverts de livres, ces tables où s’amoncelaient de multiples brouillons et autres tasses de thé vert qu’elle avait laissé refroidir, tout cela n’appartenait qu’à elle. Un fouillis bien organisé dans lequel Naï demeurait la seule à pouvoir se repérer.
Les premières lueurs du jours crevaient déjà l’horizon lorsque la jeune femme se redressa, abandonnant l’observation d’une irrégularité dans le bras spiral de Persée pour s’étirer avec délice.

5h47.
« Plus qu’à tout nettoyer. Et ensuite, au lit. » pensa-t-elle.
Ces derniers jours, la judicieuse avait vécu en décalé : dormant le jour, quand la chaleur se faisait accablante, et passant ses nuits à la tour d’Astronomie. Chaque matin, avant de rentrer, elle prenait bien soin de nettoyer consciencieusement ses instruments d’observation, comme le lui avait appris son père.
Le souvenir de Luc Bordage lui expliquant les rudiments de l’observation spatiale, alors qu’elle n’avait que 8 ans, fit douloureusement sourire la jeune femme. Ouvrant la porte à …
Un frisson parcourut l’échine de Nairobi. Le bout de ses doigts se mit à picoter. Quelque chose allait survenir. Bientôt. Quelque chose d’irréversible. Depuis qu’elle contrôlait mieux sa faculté, l’astrophysicienne avait souvent ce sentiment que « quelque chose » arrivait, mais sans vraiment être capable de dire précisément quoi.
Naï chassa les picotements d’un mouvement de la main, avant de se reconcentrer sur le soin de son télescope. Elle tendit le bras pour saisir une lingette désinfectante spécifique, mais son geste ne rencontra que le vide. Plus de lingettes. Nairobi était à sec.
« Evidemment. » soupira-t-elle.
Luttant contre l’envie de remettre cela au soir-même, elle s’aventura dans les couloirs de la tour d’Astronomie, en quête d’une nouvelle boîte de lingettes nettoyantes.
Naï descendit un étage. Puis un autre. Elle se retrouva finalement au sous-sol, là où était stockées les fournitures d’avance rapportées par Fering. De nouveau, la judicieuse sentit ses doigts picoter. Un drôle de pressentiment l’envahit.

Nairobi voulut attendre que ses yeux se soient habitués à la pénombre, mais elle réalisa bien vite qu’un fin rai de lumière s’échappait de l’un des débarras du sous-sol. Une porte ouverte. Une lampe allumée. A cette heure-ci ? Bizarre.
« @Fering ? » lança Nairobi au hasard. La directrice de la tour d’astronomie pouvait parfois elle aussi être un oiseau de nuit.
Vaguement nauséeuse, Naï poussa la porte du débarras en question, et se retrouva dans … un labo. Un labo secret. En sous-sol. Gigantesque, et très bien éclairé. En son centre, deux volontaires penchés sur un engin qui avait tout l’air d’être le prototype d’une fusée.
« @Fering ? @Kourou ? »
Ses yeux s’écarquillèrent sous le coup de la surprise tandis qu’elle reconnut les deux acolytes. La directrice et le monarque se tournèrent vers elle. Toujours bouche bée, Naï essaya de trouver une explication à la scène qu’elle avait sous les yeux. En vain.

« Mais qu’est-ce-que vous faites là ? »