Pérégrination

Début juillet

Le beau temps de ces derniers jours qui avait ravi la Pangée tournait peu à peu. De gros nuages gris arrivaient à l'horizon, promesses de pluie. Les attentifs qui cultivaient les terres allaient certainement en être ravis, car ces derniers mois les rares averses avaient à peine eu le temps d'humidifier la terre. Malgré la baisse drastique de la pollution due au Fléau – enfin, due à l'arrêt d'une majeure partie des productions industrielles, arrêt qui était dû au Fléau – certains changements de climat extrêmes semblaient avoir continué malgré tout. Et la sécheresse anormale de ce début d'été en était l'un des signes. Il faisait donc un temps lourd, et le ciel voilé, bien que clair, promettait de bientôt tous les rafraîchir. C'était un temps tout aussi ambivalent que l'était l'humeur de Korou en ce début de mois de juillet.

Il sortait tout juste du laboratoire de fortune qu'ils s'étaient construit avec Fering pour leur projet de motorisation de véhicule astronautique. Ils voulaient simplement vérifier, et tenter, de savoir s'ils étaient en capacité de permettre à une masse non anodine de s'affranchir de l'attraction terrestre et, ainsi, d'atteindre l'orbite basse de la planète. Un projet un peu fou diraient certains. Un projet qui lui permettait d'aiguiser ses neurones, répondrait Korou. Et ce matin, les derniers tests de puissance s'étaient avérés prometteurs. Bon, ils n'en n'étaient pas encore à pouvoir planifier un premier essai de lancement, mais les résultats obtenus étaient encourageants. En sortant de là, il allait proposer à Fering d'aller boire un verre pour fêter ça, mais cette dernière était malheureusement appelée par ses obligations de Seigneur. Se promettant de remettre ça, ils s'étaient donc séparé pour prendre chacun des chemins différents.

Les pieds de Korou l'avaient emmené automatiquement sur le chemin des terres noires, mais lorsqu'il s'en rendit compte, il s'arrêta brusquement, un groupe de jeunes gens qui marchait derrière lui manquant de lui rentrer dedans. Il s'excusa confusément, et tourna les talons. Il avait pris la direction de l'Abreuvoir. Mais les instants qu'il avait partagé seul avec Bombay quelques jours plus tôt l'avait bien trop troublé. Il ne se sentait pas, là, maintenant tout de suite, de se retrouver face à elle à nouveau, d'autant plus qu'il était seul. Et donc n'aurait aucune excuse pour ne pas engager la conversation. Il pensa alors au Trou. Un bar malfamé où il avait accompagné une fois ou deux Anchorage. Ce n'était pas un endroit qu'il affectionnait, loin de là, il répugnait à s'y laisser trainer d'ailleurs. Mais il avait vraiment envie de boire un verre... et qui sait, peut-être tomberait-il sur son ami ?

En se retrouvant devant la façade, Korou fronça le nez, hésitant. Mais il se retrouvait là désormais. Et il pouvait bien faire abstraction de ce qui le dérangeait pendant quelques heures. Après tout, il y a des années et des années de cela, ce genre de bouges étaient même ses endroits de prédilection. Une fois à l'intérieur, il regarda autour de lui. Aucun signe d'Anchorage. Tant pis. Il se dirigea alors vers le comptoir pour s'installer sur un tabouret haut. Une serveuse apparu devant lui. « Je vais prendre un whisky s'il-vous-plaît. Avec glaçons. » Il posa alors son regard sur la serveuse et lui adressa un sourire lorsqu'elle lui servi son verre. Il sentit plus qu'il ne vit, quelqu'un s'installa au bar à sa droite. « Oh, bonjour @Houston. » dit-il, ne s'attendant absolument pas à la rencontrer dans un tel endroit.

Pérégrination

J'irais payer des serpents pour qu'ils la mordent.

Impossible de savoir l'heure. Pourtant, lorsqu'elle était partie, elle avait senti le soleil sur sa peau. Mais entrer au Trou était une toute autre sensation. Le soleil, déjà, ne perçait plus la crasse des fenêtres. Une sorte de lumière trouble le remplaçait. La chaleur elle, venait de l'haleine des clients. De la concentration de ces corps suant en un même endroit. Concentrés. Cartes à la main où yeux rivés sur la TV cabossée. A chaque vague d'injures, Houston distribuait les billets, et puis, ça recommençait. Impossible de savoir l'heure, alors, sa pause était lorsque l'autre se pointait. En attendant, les marges augmentaient. Le profit, maigre, commençait à s'aligner - mais c'était sans compter la commission du Trou. Le faible surplus qu'elle arrivait généralement à se faire partait au bar. Jamais n'avait-elle autant apprécié sa condition en zone de quarantaine qu'une fois arrivée en Pangée.
Enfin, son remplaçant se pointa. Ils se grommêlèrent les politesses, et la jeune femme descendit dans la salle principale.

L'odeur était déjà plus supportable.

Comme un papillon de nuit, impossible de savoir l'heure, ses pas furent attirés vers le bar familier. Beijing lui glissa quelques mots qui la firent sourire, à moitié. L'esprit encore embrumé des vapeurs d'alcool et calculs, elle s'assit mécaniquement au comptoir, attendant son verre. Toujours le même. Cocktail qui n'était pas sur la carte - un remontant, entre collègues. « Oh, bonjour Houston. » Pour la première fois, son regard se porta sur le mec à sa droite. Son visage, banal, jusqu'à sa chemise, trop blanche, pantalon repassé, chaussures cirées. Et puis, elle regarda le barman qui fit mine de ne pas la voir. Alors, elle reporta son attention sur l'homme. « J'suis en pause. » Enfin, brièvement. Pour les paris, son collègue était en haut. Vous savez, là où les paris se font. On lui donna son verre qu'elle entama rapidement du bout de sa paille de fer. « Et la maison accepte pas les remboursements. » En plus d'être fatiguée, il avait une tête de fonctionnaire. Ça ne l'aidait pas à être agréable.

Pérégrination

Début juillet

Toujours cette même attitude, ce même regard hautain, cette même intonation dédaigneuse que quelques mois plus tôt. Pas même un bonjour ni ne serait-ce qu'un seul geste pour lui signifier qu'elle l'avait reconnu. Et pourquoi cela aurait-il changé ? Korou n'aurait pas du s'en étonner, et pourtant, il ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel lorsqu'elle lui répondit les quelques mots qu'elle lui avait jeté. Décidément, il avait bien fait de conseiller au roi de ne pas la prendre dans leurs rangs. « Cela vous étonnera peut-être, mais en fait je disais bonjour par simple politesse. » Oui après tout peut-être n'avait-elle plus l'habitude que d'autres personnes ne s'adressent à elle pour autre chose que ce qu'elle pouvait leur apporter... ou peut-être n'avait-elle plus l'habitude que qui que ce soit soit agréable avec elle, tout simplement. Enfin en tous cas c'était sûr que lui n'avait pas besoin de remboursement, ni quoi que ce soit qui soit en lien avec ce que la jeune femme devait être en train de magouiller dans cet endroit sordide.

Il avala une nouvelle gorgée de whisky, l'alcool lui brûlant légèrement l'arrière de la gorge, puis lui réchauffant agréablement l’œsophage. Il jeta un nouveau coup d’œil à @Houston. Allait-il lui adresser la parole ? Ou non ? Dans un sens elle ne lui en donnait absolument pas l'envie ; il aurait bien aimé vider son verre d'un seul trait pour rentrer ensuite chez lui. Mais ce soir il était de bonne humeur, et il était hors de question que l'exilée change cela. « Tu travailles donc dans ce fabuleux endroit ? » demanda t-il alors, regardant droit devant lui. Il avait bien entendu légèrement insisté sur l'avant dernier mot. Personne n'aurait pu se méprendre sur la raillerie à peine dissimulée. Peut-être que le fait qu'il lui parle allait dérider Houston ? Ou l'agacer ? Dans les deux cas, le chef de la Trappe s'en amuserait... Peut-être arriverait-il même à la sonder un peu plus, car pour l'instant, il n'avait vraiment aucune sorte d'idée de qui elle pouvait être réellement ; et si elle allait s'avérer être un atout pour la Pangée, ou le contraire.