je tourne à l'envers

@pompéi feat. @samara

Bain de noirceur. Parmi les couleurs fugaces qui luisent sur son visage, Pompéi n'est qu'un pantin oublié au milieu d'une foule désabusée. Fragrances d'alcool et de sueur, de tabac froid et de poppers, les naseaux découvrent des virtuoses d'un delirium dont elle ne connait que la théorie. Les cils vagabondent contre la peau blafarde. Les pupilles s'estompent sur les corps ébroués. Elle contemple. Comme un tableau dans un musée. Jocondes infinies qui redéfinissent un art trop abstrait. Qui sont-ils ? Que font-ils ici ? Interrogations multiples, journaux reliés par quelques bobines de fil rouge, les synapses tentent de comprendre l'incompréhensible. Dieu qu'elle aimerait comprendre. Dieu qu'elle aimerait s'éprendre ! De cette vie, de cette frénésie, de cette folie. De la musique, de l'alcool et de l'hérésie. Savoir pourquoi il rend les gens fous, la conscience un peu trop floue. Savoir pourquoi les Hommes s'y complaisent davantage que l'apothéose d'une infinie dévotion à une cause, à un autre.

« Mademoiselle ? Je vous sers quelque chose ? » qu'on lui demande poliment. Le cri lui perce les tympans. Rejet du hurlement. Non, elle ne peut pas. Elle ne supporte pas ! Les muscles se tendent. La respiration se saccade.

De l'air !
De l'air !

Frénétique poupée abusée par un surplus de violence invisible, elle abandonne son perchoir, se précipite, s'effrite à chaque pas, l'allure marquée, les bras poussant les obstacles, jusqu'à épingler la sortie. Ruelle sombre qui marque, brise fraîche qui enlace.

Respire.
Respire, bon sang !

Quelques secondes sont nécessaires pour calmer les ventricules qui tambourinent. Pour que les alvéoles se remplissent. Pour que le sang cesse de bouillir. Ici, dans le noir, elle est à son aise. Là où elle a toujours été, loin des regards, loin des lumières. Dans le gouffre de l'ignorance des autres, toujours témoin, jamais actrice. Ou du moins le pense-t-elle encore, tandis qu'un sursaut cogne violemment sa poitrine, lorsque l'oeil surprend une silhouette noirâtre aux abords de sa périphérie. « Seigneur, vous m'avez fait peur ! » Main sur le coeur, elle calme le bourreau de l'organe. Un instant. Et elle remarque, enfin, les traits de l'inconnue coupable de l'apothéose des sens. Paupières papillonnent. « Oh, euh, vous êtes... ? Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous importuner. » Respect et soumission, comme à chacun des grands de ce monde, portant couronnes et lauriers, qui gouvernent les fourmis comme elle. Elle baisse respectueusement la tête en guise de salutations tacites. Bon toutou qui se pavane dans la théorie de l'ordre biologique. « J'ignorais que... » Un bruit, au loin, qui se mêle aux notes rocambolesques de la musique qu'on entend encore à travers les murs. Deux âmes qui s'accouplent dans la nuit, et voilà que Pompéi rougit. « Hm hm, que vous pourriez vous trouver dans un endroit aussi... » Et la voilà qui balbutie, tandis qu'elle continue de causer pour ne pas entendre le lointain orgasme. « Pas que l'endroit en question soit abominable, mais, euhm, vous êtes plus... plus à même de rendre une soirée mémorable en étant à l'intérieur avec les autres. Enfin, sauf si vous, je veux dire, si vous préférez éviter les petites gens !? » Elle secoue la tête, droite, gauche, droite. Puis se courbe encore plus en fermant les yeux.

Abrutie !

« Veuillez excuser mon impertinence, punissez-moi si vous le désirez, je l'accepterai ! » Pauvre folle qui pourrait s'agenouiller sous les coups sans broncher.

Puisses-tu te taire, et à jamais.

je tourne à l'envers

@samara feat. @pompéi

L'alcool pleure sur la langue, dans les tréfonds du gosier. C'est l'ivresse qui gangrène les songes et pollue l'âme. Les rires, éperdus, dégueulent mièvreries. Point d'entrave pour claquemurer ce qui trémule sous la couenne. Non. La concupiscence enserre les carcasses avides de son éternel velours. C'en est grisant pour l’œil, alerte, qui se plaît à contempler l'inéluctable. Le spectacle de toute une vie, de cette nécessité cuisante poussant l'Homme à s'enivrer de quelques courbes affriolantes. Sûr qu'il en faut peu pour égarer l'esprit fébrile, malgré les conventions et la bienséance. Finalement, le sexe palpite sans cesse. Il quémande l'absolution. C'est immuable. Et cela dévore le corps comme le ferait un prédateur famélique.

Elle s'en gausse, Samara. L'appétence galvanise émois infâmes entre ses lombes. Il lui suffit de jeter une œillade çà-et-là pour se repaître de l'ardeur ambiante. Et là, perdue au milieu de cette foule déliquescente, elle s'immerge à travers rêveries et chimères impétueuses. La fièvre se diffuse entre ses synapses, grimpe le long de sa croupe. Une complainte délicieuse se dérobe à ses lippes. Elle s'égare dans quelques étreintes éphémères, rythmées par la mélopée lancinante qui suinte d'une inconvenance délectable. Sous le derme, elle éprouve les aspirations nébuleuses de sa propre prérogative. Autour d'elle, les souffles s'étranglent d'une faim ravageuse. L'oxygène manque au frémissement réciproque. La raison s'étiole toujours plus. Les derniers remparts s'écroulent enfin.

Tandis que la nuit pulse son ignominie, Samara s'échappe de ce magma sirupeux. La fraîcheur mord la chair lorsqu'elle regagne finalement l'extérieur. La brûlure est vive, quasi-extatique. Et elle en glousse, la Jouvencelle, enorgueillit par les éclats véhéments qu'elle appréhende encore au loin. Les cils papillonnent sur son passage, mais elle n'en a cure. Elle se calfeutre, là-bas, dans l'obscurité familière qu'elle s'empresse toujours de rejoindre. L’œil ne peut que distinguer un point rougeâtre dont veloutes et nuées serpentent dans les airs. Menotte s'égare un instant, parcourant les vallons de son anatomie de femme indomptable. Et palpe la carne moite par delà les dentelles effilées. Mélodie doucereuse soulève ses sens aiguisés. C'est la chaleur qui l'accable d'un désir qu'elle ne peut que combler elle-même.

Seulement...

Une voix l'arrache à ses réjouissances. Minois ravissant qu'elle reconnaît sans peine. Un rictus lui mange alors la trombine. Samara ne réprimande pas une seule fois ses maladresses. Au contraire, elle avale la distance qui sépare son atmosphère de la sienne. Et là, proche de cette bouche qui ne cesse de déblatérer futilités, mirettes déshabillent la malheureuse de bas en haut.

« - Vous parlez beaucoup, qu'elle murmure néanmoins.

Voilà qu'elle caquette, elle, Reine d'un empire damné. Cependant, ses phalanges écrasent les lèvres charnues, contraignent au silence.

- Je le pourrais, oui.

Elle semble réfléchir.

- Mais quelle punition vous siérait ?

Elle pompe une fois de plus la cigarette, recrache nuage de nicotine sur le visage devant elle.

- J'ai bien ma petite idée sur la question.

Entre ses alvéoles, le flux de son essence nouvelle crépite d'une intensité tangible. L'impatience lui broie la tripaille. La piqûre n'est pas soulagée, là, sous le ventre rond d'une dépendance mortifère.

- Ou peut-être avez-vous quelques... préférences ? »

je tourne à l'envers

@pompéi feat. @samara

Gangrène dans tous les muscles, répandue comme feu sur traînée de poudre, le petit squelette vacille. Feuille contre vent, la brise ramène la Reine auprès du carcan. Apothéose d'un paradoxe étrange. Le long de l'apophyse se fourre l'angoisse, caressant les vertèbres de sa douce mélodie, et Pompéi trépasse.

La Reine de Pique, aussi flamboyante qu'une Reine de Coeur. Un peu l'une un peu l'autre.
Pompéi ne l'a jusqu'à lors jamais rencontrée. Demeurant silhouette loin de son sillage, elle n'en avait guère fait l'éloge au creux de l'âme. Pourtant, désormais si proche, l'oeil remarque l'impérial charisme qui sillonne ses traits. Sentiment exacerbé dans les artères, le sang gonfle les organes, comme pris de frénésie. L'ocytocine, certes en quantité moindre, se diffuse dans tout son corps. Diffamation des reins, le désir répand avec lui la honte et l'inquiétude. Rejet perfide d'une émotion inconnue, éperdue dans la masse d'une femme inadaptée, greffe incompatible qu'elle tente d'évacuer.

« Je... » s'apprête-t-elle à répondre, mais elle s'interrompt sous le joug du Diable. « Pardonnez-moi. » Doit-elle se taire ? Se faire mystère ? Incompréhensions multiples. Perdition des tripes. « Je... Je ne comprends pas. » Préférences, elle n'en a point. Seulement la honte du venin, seulement la peur du sien. Les synapses tentent de matérialiser une quelconque issue, en vain. Les jambes sont immobilisées, comme enracinées dans le sol bétonné. « Vous... Vous insinuez que... ? » La gorge extermine la nicotine qui tente de l'étouffer. « Je ne suis pas disposée à vendre mon corps de cette manière ! » Panique dans les écoutilles. « Bien que toute personne ayant cet honneur devrait en être particulièrement fier, vous êtes une femme magnifique, et vous êtes Reine, bien sûr ! » Massue sur la tête, elle aimerait cogner sur le crâne, nouer la langue, exploser les reins. Merde ! Voilà que les dialogues pataugent de nouveau.

Les paupières se ferment. Quand Diable se taira-t-elle ? Sont-ce les hormones qui créent telle déblatération ? « Je ne peux accepter telle requête, mais je ne puis vous offenser davantage, alors... » En pâmoison dans sa propre déraison, Pompéi s'offense elle-même. « Je vous accorderai un baiser. » La décadence lui crève le sein. Ignominie ! « J'espère que cela saura effacer ma désinvolture. » Les pupilles recherchent dans ses jumelles quelques soupçons de validation. Pitié, qu'elle la lui donne ! Qu'elle la libère sans un mot, enfouissant l'épisode six pieds sous terre !