Cliquetis des talons sur l'asphalte. Brouhaha des âmes nocturnes sur le point d'être lâchées. A 22h, le soleil ne s'est pas encore couché sur les Terres Noires. Il est encore tôt, Vegas croise surtout ses sœurs et quelques frères élégants, les travailleurs exilés cherchant de quoi subsister loin de leurs terres désolées. La plupart des clients, eux attendent encore leur heure. Lorsque les dernières lueurs du jour se seront éteintes à l'horizon, ils sortiront profiter des infinis plaisirs, protégés par l'anonymat offert par la nuit et son obscurité. Vegas, elle est chez elle, qu'importe l'heure de la nuit ou du jour. Ces rues, ces passages étroits, ces impasses coupables elle les connait par cœur, elle y trouverait son chemin à l'aveugle. Sur le chemin, on l’interpelle, on tente de l'attirer, de la prendre dans ses filets. Lady Luck, on la connait, c'est une promesse de fête sans limite et de bonne fortune assurée. C'est au premier qui remportera ses faveurs et verra sur ses lèvres le baiser de la chance être déposé. Mais pas ce soir, la belle a d'autre projets. Alors elle s'échappe, elle se dérobe, elle s'éclipse avant de s'évanouir dans un éclat de rire. Non cette nuit elle est pour lui, même s'il n'en a peut-être pas encore conscience. La belle pousse la porte de la zone comme on entre dans son royaume. On lui sourit, on tente d'accrocher son regard, d’agripper ses hanches mais c'est Cancun qu'elle cherche. Elle se met sur la pointe des pieds et sonde les visages en se mordant la lèvres comme à son habitude lorsqu'elle est dans ses pensées ou concentrée.  Enfin elle le trouve et se fraie un chemin jusqu'à lui tel un chat se glissant aisément entre les jambes des passants. Mais plus elle approche, plus son sourire  s'évanouit. Tout dans sa posture, son attitude, la mine sombre de son visage indique que quelque chose ne va pas. "C'est tes clients à l’abreuvoir qui te manque ?" Quelques mots, des chuchotements pleins de venin et l'agacement assombrit les traits de Vegas. S'il y a bien quelque chose qu'elle tolère encore moins que les attaques contre son clan, ce sont les tentatives de divisions entre ses propres membres. Certains semblent l'avoir oublié, il est temps de leur rappeler. D'un geste vif et précis elle agrippe le poignet du barman indélicat. Ce dernier sursaute, écarquille les yeux en reconnaissant la princesse des Élégants. Un sourire presque carnassier étire les lèvres de l'habituellement si douce Vegas et elle resserre sa prise. Tous la connaissent comme la porteuse de chance et chacun sait aussi que son courroux est promesse de malheur et de malédiction. Tout en ne lâchant pas sa proie son corps se love contre celui de Cancun, son visage se loge dans son cou, ses lèvres caressent le long de la mâchoire du jeune Adonis. Je suis en retard, pardonne moi. La journée a été longue, j'ai besoin de passer une bonne soirée sans qu'on vienne la parasiter avec des ondes malsaines de jalousie mal placée. J'espère qu'on s'entend bien sur ce point mon grand? Son sourire est caresse, sa voix est velours, sa mine boudeuse mais ses prunelles de jade jettent des éclairs. Hochement de tête frénétique, courbette maladroite. Bien. Maintenant sois gentil et sers moi une vodka que je puisse enfin profiter de la soirée en compagnie de quelqu'un qui en vaut vraiment la peine. Enfin elle libère le bras de l'indélicat qui le retire loin de sa portée comme s'il avait été marqué au fer rouge. Il sert son verre à Vegas avant de s'éclipser avec autant de vélocité qu'un lapin rentrant dans son terrier. Regard alentours mais plus personne ne semble vouloir leur porter attention, du moins en apparence. Satisfaite la douce Vegas redevient elle-même, prend place tout à côté de Cancun et pose une main sur son genoux. Ne les laisse pas t'atteindre de leur venin, ce ne sont que des vipères crevant de jalousie de ne pas susciter autant d’intérêt que toi. Rajoutons-en même encore une couche et passons une soirée mémorable rien que toi et moi. Un clin d’œil complice et la belle vide d'un trait son verre avant de le poser bruyamment sur le comptoir.  Déjà le barman accourt pour la servir de nouveau, pauvre larbin expiant ses fautes.   

( Pando )